La mémoire olfactive, celle de l’odorat, constitue à elle seule un facteur important et influant de la mémoire
Imaginez que vous êtes dans un ascenseur en compagnie d’une personne qui vous est totalement étrangère. Vous prenez un grand respire puisque vous êtes presque en retard pour votre réunion avec un client très important. Soudain, vous vous sentez beaucoup plus léger, comme dans les douces soirées d’été en compagnie de vos êtres chers. Sans trop savoir pourquoi, vous ressentez le désir de réduire la distance qu’il y a entre vous et l’autre personne présente dans cet espace confiné. Vous avez l’impression d’être réellement en présence d’une personne que vous connaissez.
Aussitôt sorti de l’ascenseur, cet étrange sentiment de bien-être se dissipe. Plus il y a de la distance entre l’inconnu qui était à l’intérieur de l’ascenseur et vous, plus vous sentez la présence de cette personne connue disparaître. Le seul sentiment qui vous reste est la sensation de bien-être que cette odeur furtive a éveillée en vous. Ce phénomène est lié aux odeurs que votre mémoire a enregistrées au fil des années. On parle ici de votre mémoire olfactive. Ce type de mémoire qui tend à rencontrer des difficultés avec les années, présente aujourd’hui encore, certains mystères pour les scientifiques.
Réflexe primitif, tu as du flair
Commençons par le commencement. Le nez, l’organe bien en vue et situé au centre du visage, a pour mission de permettre la transmission des odeurs, ce qu’on appelle l’information olfactive, vers le cerveau, pour que le tout soit ensuite interprété sous forme de souvenir. C’est donc dire que ce processus est un peu comme un centre de tri. En effet, le corps et le cerveau travaillent de pair pour filtrer l’information et par la suite la classer dans les tiroirs de la mémoire. De plus, votre cerveau rattachera des images ou des situations à ces odeurs. L’association des éléments du quotidien à chaque senteur, par exemple l’odeur du spaghetti qui rappelle les soirées froides d’hiver devant un bon feu, permet ainsi de mieux analyser votre environnement et vous indiquer si vous êtes en sécurité ou non.
À l’origine, le nez avait une bien plus grande importance pour l’humain et particulièrement pour sa survie. Il y a de cela plus de 190 millions d’années, l’odorat servait à trouver son repas, à déceler à qui appartenait le territoire et aussi à exprimer au mammifère du sexe opposé que c’était la période de reproduction. Quand on y pense, ce n’est pas très différent d’aujourd’hui! Encore de nos jours, on se sert de notre nez pour trouver d’où proviennent les odeurs. Il est quand même fascinant de savoir que le corps humain utilise près de 5 % de son génome (son bagage génétique) pour la production des cellules olfactives. Ces cellules ont pour principale fonction de reconnaître les substances odorantes avec lesquelles nous sommes constamment en contact.
Mémoire, mémoire, fais revivre les souvenirs olfactifs
Parfois, une odeur est tellement bien rattachée à un souvenir précis ou à une personne, que cela peut vous placer dans des situations bien cocasses. Cela est arrivé récemment à Dominic, un homme de 48 ans. Il mentionnait avoir récemment ravivé un souvenir datant de plus de 30 ans : « J’ai senti l’odeur du parfum de ma grand-mère, mais c’était une fille de 20 ans qui portait cette odeur », a-t-il dit avec un regard d’incompréhension. « Ma grand-mère est décédée il y a 31 ans. Ça m’a fait bizarre qu’une jeune femme porte cette odeur! » Pour Dominic, d’un côté ce parfum a ravivé un souvenir heureux. De l’autre, son cerveau l’informait que c’était étrange qu’une personne aussi jeune porte cette odeur, ancrée comme étant celle de sa grand-mère depuis tant d’années. Dominic a été témoin du lien étroit exercé entre la mémoire et l’odorat. Cela est causé par le fait que l’odeur passe par la partie primitive et inconsciente du cerveau, avant d’être analysée dans la partie consciente. Ce bout de chemin ajoute une touche affective aux effluves, comparativement aux stimuli des autres sens qui passent directement à la conscience.
Les odeurs ont un tel impact sur nos repères sociotemporels qu’ils nous servent entre autres à savoir nous sommes rendus à quel moment dans la journée. Si vous sentez l’odeur du pain grillé, vous serez en mesure de déceler que la période de la journée est le matin. Cette information est enfouie profondément dans votre mémoire et a été intégrée dès votre tendre enfance. Il est question de la mémoire olfactive acquise. Par contre, certaines personnes subissent des traumatismes qui font en sorte qu’ils devront réapprendre ces réflexes temporels.
Odeur, quand tu permets la thérapie
Depuis déjà quelques années, des intervenants vont à la rencontre de patients victimes de traumatismes crâniens ou d’accidents cardio-vasculaires avec différents pots d’odeurs. Ces experts en thérapie par l’odeur, les olfactothérapeutes, se sont donné pour mission d’aider ces patients à recouvrer les bribes de la mémoire manquantes en faisant sentir diverses odeurs. Le but de cette thérapie est de stimuler les zones reptiliennes du cerveau liées à l’odorat et permettre de raviver des souvenirs et faire resurgir des repères. Il s’agit d’une pratique mise en place dans plusieurs hôpitaux en France. Citons par exemple ce patient de 19 ans qui était dans un état passif depuis trois mois. Toutes les stimulations visuelles n’avaient pas d’impact sur lui. Un jour, l’olfactothérapeute a appris que le jeune homme était un amateur de gomme à mâcher à la menthe. Il est donc arrivé avec une fiole de menthe pour la faire sentir au patient. C’est à ce moment que l’homme de 19 ans a bougé les yeux pour la première fois et a souri à l’olfactothérapeute. C’est grâce à un petit concentré d’odeur qu'il a réussi à faire revivre un homme sans réaction depuis plusieurs mois.
L’olfactothérapie sert aussi lors de séances de psychothérapie. Le neuropsychiatre Dr Lassia pratique en Europe. Il se sert des odeurs pour aider ses patients à exprimer leurs émotions. Il leur donne une odeur qu’ils vont sentir. « Des fois, il y a vraiment une pause. Je ne sais pas où ils sont partis », explique le docteur. Cet exercice ouvre une brèche dans la mémoire du patient, permettant par la suite le début de la séance et le déblocage des émotions.
Association, tu ne t’en sortiras point
La perception des odeurs varie énormément d’une personne à l’autre. Vous est-il déjà arrivé de sentir une fragrance et trouver qu’elle sentait particulièrement mauvais, alors qu’un autre individu adorait ladite odeur? Reprenons l’odeur de parfum que Dominic a senti, celle qui lui rappelle sa grand-mère. Pour lui, c’est un parfum qui sentait bon qui était rattaché à une personne qu’il aimait beaucoup. Imaginez maintenant que vous êtes cette personne qui sentez cette odeur, mais qu’elle est portée par une personne que vous n’affectionnez pas du tout. Pour vous, il y a de bonnes chances que l’odeur vous révulse et que vous ayez même le réflexe de tenter de trouver d’où provient cette odeur désagréable afin de pouvoir, de manière inconsciente, trouver la source et vous en sauver. Dans certains cas, vous ne serez même pas en mesure d’identifier ce qui vous fait détester cette odeur. Une chose est certaine, le lien étroit qu’il y a entre la mémoire et l’odorat est difficile à expliquer pour les scientifiques, malgré que plusieurs études soient en cours un peu partout sur la planète.
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